2 janvier 2013 - Méditation
pour le temps présent par
Paulette Leblanc
Le Fils aîné du Père
Il est des paraboles de Jésus que l'on connaît par cœur,
dont on a entendu des commentaires des centaines de fois, et qui pourtant nous
laissent insatisfaits. Peut-être parce que le sujet étant tellement vaste et
pouvant s'appliquer différemment selon les époques ou les cultures, le Seigneur
avait désiré laisser une porte ouverte pour des méditations et des réflexions
futures et adaptées. Il en est ainsi de la parabole de l'enfant prodigue. Jésus
s'adresse à la fois à des pharisiens et à des docteurs de la Loi, à ses apôtres
et à ses disciples qui, tôt ou tard, seront affrontés à des problèmes délicats
concernant le pardon à donner à certains pécheurs, leur montrer la miséricorde
de Dieu mais aussi la gravité de leurs péchés, lesquels sont toujours des
manques d'amour. Jésus veut aussi nous montrer l'immensité de l'Amour du Père
pour tous ses enfants pécheurs, mais également son désir de voir ses fils et
ses filles, venir ou revenir à son Amour.
Le fils puiné demande sa part d'héritage; il en a "marre"
de ce Père qui l'oblige à travailler un peu, à prendre des responsabilités vis
à vis des ouvriers qui font vivre toute l'entreprise. Non vraiment ce fils cadet
n'a pas envie de les aimer, ces mécréants, et il ne trouve vraiment pas ce que
le Père peut apprécier en eux pour qu'il les aime tellement. De plus, lui, le
fils cadet, on lui demande aussi de prendre, de temps en temps, exemple sur son
frère aîné, si ponctuel, si sérieux, si travailleur. Cela est intolérable!
Heureusement, de temps en temps, le frère aîné se fâche, et si on ne l'écoute
pas, en colère, il part dans son coin…
Le coin du fils aîné? Où est-il? Personne ne sait, ou ne
veut savoir car on préfère ne pas savoir. Seul le Père sait, et de temps en
temps, il va trouver son fils réfugié dans "son coin". On entend
alors des éclats de la voix du fils que le Père tente de consoler. Quelqu'un,
un jour, les a vus sortir ensemble, bras dessus bras dessous et s'embrasser
quand ils se sont quittés; le fils avait même les larmes aux yeux quand il a
dit: "Merci Père, merci, je t'aime!" Un autre jour, alors que le fils
aîné était parti visiter les diverses équipes des activités de l'entreprise du
Père, quelqu'un a été voir ce qu'il pouvait y avoir dans "ce coin" du
fils aîné. Il fut bien déçu car il n'y avait rien d'autre qu'exemplaire de la
Loi de Dieu.
Le fils cadet veut vivre sa vie: il est libre, n'est-ce
pas?... Et ce Père qui s'occupe toujours des autres est riche. Pourtant il ne
donne jamais à ses fils la possibilité de dépenser beaucoup d'argent, car il
faut savoir se maîtriser. Le fils cadet veut sa part d'héritage et le père ne
la lui refuse pas malgré toute la tristesse de son cœur de Père, car il sait
bien ce qui va se passer... Et le fils, ayant touché sa part d'héritage s'en
va: enfin, il va pouvoir profiter de la vie!
Nous connaissons tous la suite de la parabole. Le fils
prodigue a dépensé tout son argent. Autrefois, on se serait posé la question:
comment a-t-il pu dépenser tant d'argent en si peu de temps? Aujourd'hui, on se
pose moins cette question car les plaisirs, même les plus coûteux se sont
multipliés, et bien sûr, "moi aussi, j'y ai droit." La multiplication
des crédits accordés d'une manière éhontée accroît encore la possibilité de
satisfaire tous ses caprices. Je ne parle pas sans preuve et le nombre
incalculable des surendettés actuels est la preuve la plus évidente de
l'absurdité des crédits accordés sans aucun contrôle. Les exemples,
innombrables, donnés parfois par des employés des sociétés de crédits ou des
banques sont, non seulement très instructifs, mais surtout très dramatiques,
capables de briser des vies entières. Comment, en effet, une personne, femme ou
homme, dont le salaire moyen ne dépasse pas 2000 €uros par mois, peut-elle
faire pour rembourser une dette de 100 000 €uros? Et surtout, comment a-t-elle
pu s'endetter de telle façon? On pourrait rire si de tels faits n'étaient pas
aussi graves.
Donc le fils prodigue, qui a dépensé tout son argent n'a
plus rien pour vivre. Et curieusement, ses "amis" ont tous disparu…
Personne ne peut l'aider. Et pour tout arranger, une grave crise sociale se
déclare. C'est la détresse, et, en plus, en raison de mauvaises récoltes, la
famine s'installe. Toutes les denrées alimentaires ont disparu; on peut
seulement s'en procurer "au marché noir" et à des prix inaccessibles
pour la plupart des gens, dont notre ami, le fils prodigue. Il va donc rentrer
à la maison de son Père, et demander pardon. Conscient de la gravité de son
péché, il ne demandera rien d'autre à son Père, que de l'accepter parmi l'un de
ses mercenaires, l'un de ces serviteurs dont il s'était tellement moqué, il n'y
a pas si longtemps.
Nous connaissons tous la suite de l'histoire. Jésus, qui
veut nous montrer l'Amour de Dieu, notre Père des cieux, nous révèle alors cet
Amour en action: le Père pardonnera à son fils prodigue, Il l'accueillera dans
sa maison, et, se réjouissant d'avoir retrouvé la brebis perdue, il fera
préparer un festin…
La joie est grande dans la maison qui a retrouvé l'un des
siens. La fête bat son plein. Pendant ce temps, le fils aîné travaille dur. La
famine qui sévit dans un pays voisin l'a obligé à prendre des mesures pour
venir en aide aux nombreux réfugiés qui se présentent à la frontière. Il faut
faire venir des provisions et, aussi, prendre des mesures strictes pour
maintenir un certain ordre, afin que tous les malheureux reçoivent une juste
part, et que certains n'accaparent pas tout pour eux. Le fils aîné a donc dû
faire venir quelques-uns des serviteurs du Père, bien préciser leur tâche et
leurs responsabilités; il a dû aussi, surveiller et faire surveiller les champs
afin que les futures récoltes soient sauvegardées. Quand toutes ces mesures
furent prises, la distribution de la nourriture assurée et la sécurité mise en
place, le fils aîné, épuisé, voulut rentrer à la maison.
Le fils aîné ne savait pas que l'on festoyait dans la maison
du Père. Quand il entendit les musiques festives, étonné, il s'informa et on
lui déclara que c'était parce que son frère cadet était revenu; et le Père
avait fait tuer le veau gras…
Le fils aîné, qui n'avait pas toujours bon caractère se mit
en colère: quoi? Ce fainéant était rentré, et le Père tuait le veau gras pour
lui!!! Non vraiment, c'était trop. Le fils aîné refusa de rentrer à la maison
et, tout en exprimant sa colère, il courut se réfugier dans "son
coin". Il resta seul un bon moment à ruminer sa colère, quand, soudain,
levant les yeux, il vit le Père, juste devant lui, qui le regardait avec son
étonnant regard d'Amour. Mais aujourd'hui, le fils aîné ne pouvait pas recevoir
ce regard: il était encore trop bouleversé. Oui, il était trop bouleversé par
toutes ces injustices et sa colère le reprit. Il s'écria:
-Voilà tant d'années que je te sers
sans avoir jamais désobéi à tes ordres; et, à moi, tu n'as jamais donné un
chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils que voici est arrivé,
lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour
lui"!
Dans un premier temps on peut comprendre la réaction du fils
aîné, et qui de nous n'en ferait pas autant? Il s'est donné du mal… Il a
beaucoup travaillé… Il a fait tout ce qu'il a pu pour aider les victimes d'une
famine… Il a aussi fait le nécessaire pour que les futures récoltes soient
sauvegardées. Et voilà comme on le récompense: on festoie en l'honneur d'un bon
à rien, d'un paresseux, d'un pervers et d'un vicieux… Le fils aîné pleure de
rage devant le Père qui se tait.
Jésus veut nous donner un enseignement difficile à
comprendre pour nos esprits bornés. Jésus ne rejette pas les réactions du fils
aîné mais il veut qu'il aille au-delà, car, lui aussi, malgré ses arguments qui
sont justes, il est en train de se rendre aussi pécheur que son frère. Oui, ce
frère aîné a beaucoup travaillé, mais au fond, il aime beaucoup son travail. Et
puis, au fond de lui, il est un peu fier de ce qu'il a fait pour ces
populations affamées. Et de plus, tout ce qu'il a donné, c'est du bien de son
Père… Lui, personnellement, il n'a rien perdu. Allons, mon enfant, ne sois pas
orgueilleux comme cela! Et ne serais-tu pas un peu avare? Qui va payer le
personnel que tu as employé? Tu sais bien que c'est ton Père. Oui, tu t'es
donné beaucoup de mal, mais au fond, n'étais-tu pas un peu heureux, et même
très heureux, de pouvoir organiser, gérer, diriger, et surtout de te sentir
utile? Tu veux la justice sociale, c'est bien, mais va jusqu'au bout et va
jusqu'à l'amour qui ne compte pas, l'amour qui pardonne.
Le raisonnement intérieur du fils aîné s'estompe; son cœur
révolté se calme; Alors le père lui dit:
-Mon enfant, toi, tu es toujours avec
moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait festoyer et se
réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était
perdu et il est retrouvé. (Luc
15, 29 à 32)
Le
fils aîné ne répondit pas tout de suite, mais il leva les yeux vers le Père. Il
sentait bien, intérieurement, que son Père n'avait pas tout à fait tort, mais
quand même, lui il avait travaillé dur pendant que son frère festoyait avec la
famille. Certes la maman devait être
bien contente, bien heureuse, elle qui avait tant pleuré. Alors le cœur du fils
aîné cessa de gémir sur lui en pensant à la joie de la maman. Il comprit soudain
qu'en agissant comme il le faisait en ce moment, c'était le cœur du Père qu'il
blessait. Alors, brusquement, il se leva et se précipita dans les bras de son
Père. Il pleura beaucoup car il venait de comprendre que lui aussi avait
gravement péché. Mais il savait que le Père lui pardonnait, à lui aussi, et lui
donnait un peu de l'humilité dont il avait si souvent besoin.
Le Père et le fils aîné sortirent du "coin".
Doucement, en se donnant la main, ils s'avancèrent vers la maison où l'on
festoyait. (2 janvier 2013)